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La gestion de crise : leçons tirées des grandes entreprises

Les crises sont inhérentes à la vie des entreprises. Qu’elles soient d’origine naturelle, technologique, financière ou humaine, elles menacent la stabilité, la réputation, et parfois même la survie des organisations. Loin d’être de simples contretemps, les crises sont des moments de vérité qui révèlent la solidité des fondations d’une entreprise et la pertinence de sa stratégie. Face à l’imprévisibilité croissante du monde, la gestion de crise est devenue une compétence cruciale que les écoles de management intègrent dans leurs programmes pour former de futurs managers agiles et capables de s’adapter à toutes les situations.

Anticiper et se préparer : le fondement d’une gestion de crise efficace

Avant de pouvoir se préparer à une crise, encore faut-il savoir à quoi se préparer. Une analyse rigoureuse des risques est la première étape indispensable pour anticiper les menaces potentielles. Chaque entreprise est unique et doit mener une réflexion approfondie adaptée à son secteur d’activité, sa taille et son environnement.

Mise en place d’une cellule de veille et d’analyse

Cette cellule, composée d’experts de différents domaines (juridique, financier, communication, opérations, etc.), a pour mission de surveiller l’environnement de l’entreprise et d’identifier les signaux faibles. Par exemple, TotalEnergies, fortement exposée aux fluctuations géopolitiques, a mis en place une cellule de veille performante pour anticiper les crises liées aux instabilités politiques dans les pays producteurs de pétrole, aux variations des cours du brut, ou encore aux tensions sur les marchés énergétiques. Cette veille leur permet d’ajuster leur stratégie et de prendre des mesures préventives pour minimiser les risques.

Cartographie des risques

Une fois les risques potentiels identifiés, il est crucial de les cartographier. Ce travail, qui doit être régulièrement mis à jour, classe les risques par typologie (financier, opérationnel, réputationnel, etc.) et par criticité, en évaluant leur probabilité d’occurrence et leur impact potentiel sur l’entreprise. Une entreprise comme Danone pourrait ainsi cartographier les risques sanitaires liés à la contamination possible de ses produits laitiers, les risques environnementaux comme la sécheresse affectant la production agricole, mais également les risques d’approvisionnement en matières premières et d’image liés aux critiques sur la qualité nutritionnelle de certains produits.

Scénarisation des crises

Développer des scénarios de crise permet de se projeter dans différentes situations et d’anticiper les réactions nécessaires. Par exemple, les compagnies aériennes peuvent simuler des crises diverses pour tester ses protocoles de gestion des victimes, de communication avec les familles, de collaboration avec les autorités aéronautiques et d’indemnisation. Ces simulations permettent d’identifier les points faibles des procédures, d’améliorer la coordination entre les équipes et de mieux préparer les collaborateurs à gérer le stress et l’émotion en situation réelle.

Gérer la crise en temps réel : réactivité et adaptation

Lorsque la crise éclate, la réactivité et l’adaptation sont primordiales. C’est dans ces moments intenses que la préparation effectuée en amont est mise à l’épreuve. Il s’agit de la phase la plus visible et la plus scrutée par les parties prenantes.

Activer la cellule de crise et le plan de gestion de crise

La première étape consiste à collecter un maximum d’informations fiables pour évaluer la situation et confirmer qu’il s’agit bien d’une crise importante. Une communication interne efficace est cruciale pour éviter les rumeurs et la panique. Lorsqu’ExxonMobil est confrontée à une marée noire, l’entreprise doit rapidement évaluer l’ampleur des dégâts environnementaux, identifier les zones touchées, évaluer l’impact sur les populations locales et la faune, et déterminer les causes de l’accident.

une fois la crise confirmée, la « War Room » doit être activée sans délai, et les membres de la cellule de crise mobilisés. La centralisation des informations et la coordination des actions sont essentielles pour une réponse efficace. Lors du crash de ses avions 737 MAX, Boeing gère les aspects techniques de l’enquête, la communication avec les familles des victimes, les relations avec les autorités de l’aviation civile, la gestion de l’impact sur la production et la communication avec les compagnies aériennes clientes.

Tout plan doit être adapté aux circonstances réelles de la crise, qui peuvent différer des scénarios envisagés. La cellule de crise doit faire preuve de souplesse et d’agilité pour ajuster le plan en fonction de l’évolution de la situation. Par exemple, Accor a dû adapter son plan de gestion de crise sanitaire, initialement prévu pour une épidémie localisée, à la pandémie mondiale de COVID-19, qui a eu un impact sans précédent sur le secteur hôtelier. La fermeture des frontières, les restrictions de déplacement et la chute brutale de la demande ont nécessité une adaptation rapide et des mesures exceptionnelles pour préserver la trésorerie et assurer la survie du groupe.

Communiquer efficacement : transparence et empathie

La communication est le nerf de la guerre en temps de crise. Une communication transparente, honnête et empathique est indispensable pour maintenir la confiance et préserver la réputation de l’entreprise. La gestion de l’information, tant en interne qu’en externe, devient alors une priorité absolue. Les réseaux sociaux jouent un rôle croissant dans la gestion de crise et doivent être monitorés en permanence. Nestlé a été confronté à plusieurs crises liées à des controverses sur l’huile de palme, la qualité de l’eau en bouteille ou le travail des enfants. L’entreprise a dû apprendre à gérer les « bad buzz » sur les réseaux sociaux, à répondre aux critiques des ONG et à adapter sa communication pour défendre ses positions tout en reconnaissant les préoccupations du public.

Prendre des décisions éclairées et assumer ses responsabilités

En situation de crise, les dirigeants doivent prendre des décisions difficiles, souvent dans l’urgence et avec des informations incomplètes. La capacité à trancher, à prioriser les actions et à assumer les conséquences de ses choix est fondamentale. La qualité du leadership se révèle dans l’adversité.

En cas de crise, il est rare de disposer de toutes les informations nécessaires pour prendre une décision. Il faut savoir faire preuve de discernement, s’appuyer sur l’expertise de la cellule de crise et prendre des décisions éclairées malgré l’incertitude. La décision de Perrier de retirer tous ses produits du marché en 1990, suite à la découverte de traces de benzène dans quelques bouteilles, illustre cette capacité à agir de manière décisive et préventive, malgré l’incertitude sur l’ampleur de la contamination.

Tirer les leçons et se reconstruire : le retour d’expérience

La fin « officielle » d’une crise ne signifie pas la fin du travail pour l’entreprise. La phase post-crise est cruciale pour analyser les événements, identifier les axes d’amélioration et renforcer la résilience de l’organisation.

La première étape consiste à collecter toutes les données relatives à la crise : chronologie des événements, actions entreprises, décisions prises, communications réalisées, réactions des parties prenantes, etc. Maersk a mené une analyse approfondie de la cyberattaque NotPetya qui a paralysé ses systèmes informatiques en 2017. L’analyse des logs informatiques, des témoignages des employés et des communications internes a permis de reconstituer le déroulement de l’attaque et d’identifier les failles de sécurité.

L’analyse doit permettre d’évaluer l’efficacité du plan de gestion de crise, la pertinence des décisions prises, la qualité de la communication et la performance des équipes. Il s’agit d’identifier ce qui a bien fonctionné et ce qui doit être amélioré. L’incident de United Airlines en 2017, lorsqu’un passager a été violemment expulsé d’un avion, a mis en lumière des failles importantes dans la gestion de la relation client et la communication de crise de la compagnie. L’analyse de cet incident a révélé des lacunes dans la formation des employés à la gestion des situations difficiles et une communication initiale maladroite qui a aggravé la crise.

Les enseignements tirés du retour d’expérience doivent être intégrés dans les procédures et les outils de gestion de crise de l’entreprise. Il ne s’agit pas de repartir de zéro, mais d’améliorer l’existant en capitalisant sur l’expérience acquise. La mise à jour régulière du plan est un signe de bonne santé et de réactivité pour l’organisation.

La gestion de crise est un art complexe qui exige préparation, réactivité, sang-froid et humilité. Les crises, inévitables dans la vie des entreprises, sont des moments de vérité qui révèlent la solidité des organisations et la qualité de leur leadership. Loin d’être de simples parenthèses, elles sont des occasions d’apprendre, de s’adapter et de se transformer. La capacité à rebondir après une crise n’est pas le fruit du hasard, mais le résultat d’une préparation minutieuse, d’une exécution rigoureuse et d’une volonté constante d’apprendre et de s’améliorer.